La fin du moratoire sur les expulsions engendrera une hausse du nombre de sans-abri

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En réponse à la pandémie, nombre de pouvoirs publics ont adopté des mesures extraordinaires pour lutter contre le sans-abrisme, et de nombreuses villes ont fourni des hébergements d’urgence à des milliers de personnes sans abri, ce qui prouve bien qu’il est possible de les héberger. Ces solutions à court terme se sont avérées essentielles en temps de crise, mais elles ont également mis en exergue le besoin d’adopter des changements systémiques pour éliminer le sans-abrisme. 

Toutefois, le risque d’une hausse soudaine et exponentielle du nombre de sans-abri est très réelle, étant donné que le moratoire sur les expulsions prend tout doucement fin alors que l’impact du coronavirus continue de menacer la situation de groupes déjà vulnérables. L’impact économique de la crise du Covid-19 a placé de nombreuses personnes dans une situation de vulnérabilité face au sans-abrisme et les autorités publiques ont réagi rapidement afin d’éviter une vague de pertes de logements à cause de la pandémie. Elles ont ainsi adopté des mesures visant à prévenir les expulsions, maintenir les revenus, fournir différentes aides aux personnes qui ont du mal à payer leur loyer ou leur crédit hypothécaire, etc. La FEANTSA et ses membres craignent que la fin de ces mesures qui ont offert un répit aux personnes vulnérables placent des milliers de ces personnes dans des situations de vulnérabilité extrême. Pour éviter un flux de nouvelles personnes sans abri, il importe de maintenir ces personnes dans leurs hébergements.  

Protéger les locataires contre les expulsions devrait être prioritaire pour les États membres de l’UE. Les pouvoirs publics devraient maintenir ces mesures jusqu’à la fin de la crise sanitaire afin de garantir une transition en douceur vers des hébergements alternatifs. Comme l’a affirmé l’ancienne Rapporteuse spéciale sur le droit au logement, Leilani Farha, « le logement est la première défense contre le coronavirus » et les expulsions sans hébergements alternatifs qui engendrent dès lors des situations de sans-abrisme sont une violation de la législation internationale relative aux droits humains, qui inclut le droit au logement[1]?. Par conséquent, les autorités qui ne proposent pas de solutions alternatives de logement aux personnes confrontées à des expulsions locatives bafouent la législation internationale.

Nous saluons les récentes mesures prises pour continuer de protéger les locataires en France, où une instruction publiée par l’ancien Ministre du Logement, Julien de Normandie, vise à « prévenir les expulsions locatives sans hébergement alternatif et éviter que des personnes passent d’hébergements d’urgence et temporaires à la rue ».

Au Royaume-Uni, l’Écosse a prolongé les mesures de protection des locataires durant la pandémie du Covid-19 pour une période de six mois, qui devrait expirer le 30 septembre 2020. Le gouvernement écossais a récemment annoncé son projet d’étendre ces mesures jusqu’en mars 2021. L’Irlande du Nord a rejoint l’Écosse pour étendre cette protection des locataires[2]. Même en Angleterre, où la suspension des nouvelles expulsions a pris fin le 23 août dernier, les ministres ont été obligés d’étendre ce moratoire, étant donné que les associations de logement[3] et les autorités locales[4] déclaraient que des milliers de locataires pourraient perdre leurs logements.

Dans la région de Bruxelles, un moratoire sur les expulsions a pris fin à la fin août et il n’est à ce jour pas prévu de le prolonger[5]. Une plateforme d’organisations a manifesté contre la fin du moratoire et a demandé un nouveau prolongement début septembre. Les militants déclarent que le gouvernement bruxellois devrait définir de nouvelles mesures de protection pour les locataires[6]. Dans la région de Bruxelles, de nombreuses familles sont toujours fortement impactées par la crise sanitaire : perte d’emploi, perte de revenus, problèmes de santé, etc. Le moratoire sur les expulsions leur a permis de garder « la tête hors de l’eau » quelques mois mais les organisations travaillant avec les sans-abri craignent que de nombreuses familles se retrouvent sans abri.

En Espagne, le gouvernement a adopté un moratoire sur les expulsions jusqu’à six mois après la levée de l’état d’urgence (prévue le 21 décembre) pour les familles vulnérables en l’absence de logement alternatif. En Italie, le moratoire sur les expulsions a été prolongé jusqu’à la fin décembre[7].

La FEANTSA estime que les États membres de l’UE doivent continuer de protéger tout le monde contre les expulsions pendant une période prolongée. Toutefois, d’autres mesures doivent être introduites en vue de fournir une aide juridique et financière aux locataires. Le prolongement du moratoire sur les expulsions n’est pas suffisant, et les mesures devraient inclure le désendettement et d’autres solutions permettant aux familles vulnérables de ne pas perdre leurs logements.  

Les États membres de l’Union doivent fournir les réponses nécessaires pour garantir que cela se passe en conformité avec leurs obligations en vertu de la législation relative aux droits de l’homme : une suspension des expulsions jusqu’à la fin de la pandémie et pour une période raisonnable après celle-ci[8]. En cas d’expulsion, la personne doit recevoir un logement alternatif. Les États membres doivent garantir l’accès à la justice pour ces personnes, familles ou communautés qui sont confrontées à des expulsions et qui recherchent un accès à des recours effectifs.

Afin de protéger les locataires et propriétaires en difficulté, les fonds européens devraient jouer un rôle essentiel. Les fonds européens devraient être utilisés pour prévenir et réduire le sans-abrisme via des solutions de logement, mais également pour prévenir le sans-abrisme, et maintenir les personnes logées pour éviter une hausse de personnes sans abri. Les États membres et les régions élaborent actuellement la programmation du budget 2021-2027, qui sera une nouvelle opportunité pour réduire le sans-abrisme grâce à l’aide des fonds européens.

Au cours de ces dix dernières années, le sans-abrisme a été en constante hausse aux quatre coins de l’Europe. Ceci doit cesser immédiatement. La FEANTSA demande des mesures immédiates de l’UE et des États membres sur trois fronts : dans un futur immédiat, des logements temporaires doivent être fournis aux ménages sans domicile ou risquant de se retrouver sans abri, des stratégies doivent être mises en œuvre pour fournir des logements pérennes, et une approche intégrée doit être élaborée pour prévenir le sans-abrisme, en commençant par des services de médiation et d’accompagnement pour les personnes confrontées à des expulsions.  




[1] L’ancienne Rapporteuse de l’ONU sur le droit au logement convenable, Leilani Farha, a publié une déclaration détaillant les mesures qui devraient être prises pour protéger les locataires et les personnes endettées. Directives sur l’interdiction des expulsions dans le cadre du COVID-19, 28 avril 2020 : https://www.ohchr.org/Documents/Issues/Housing/SR_housing_COVID-19_guidance_evictions.pdf
[2] https://www.theguardian.com/money/2020/aug/21/hope-for-renters-in-england-facing-eviction-due-to-covid-arrears https://www.communities-ni.gov.uk/news/minister-ni-chuilin-announces-extension-legislation-protect-renters
[3] 230,000 personnes pourraient perdre leurs logements alors que le moratoire sur les expulsions se termine en Angleterre et au Pays de Galles : https://www.theguardian.com/society/2020/aug/19/230000-could-lose-homes-as-eviction-ban-ends-in-england-and-wales
[4] https://www. https://www.rtbf.be/info/regions/bruxelles/detail_expulsions-de-logements-a-bruxelles-manifestation-contre-la-fin-du-moratoire?id=10573887theguardian.com/society/2020/aug/19/manchester-faces-1930s-style-homelessness-as-eviction-ban-ends?utm_term=Autofeed&CMP=twt_gu&utm_medium&utm_source=Twitter#Echobox=1597868602
[5] Bruxelles, le moratoire sur les expulsions vient à échéance fin août : https://www.rtbf.be/info/regions/detail_bruxelles-le-moratoire-sur-les-expulsions-vient-a-echeance-fin-aout-et-il-ne-sera-pas-prolonge?id=10565053&fbclid=IwAR2BsQrBmGvr4YiManb_7MaNE__91mkGfwwRo6SJIXBOi6p67F9H8A7vW7o
[6] Bruxelles : manifestation contre la fin du moratoire sur les expulsions : https://www.rtbf.be/info/regions/bruxelles/detail_expulsions-de-logements-a-bruxelles-manifestation-contre-la-fin-du-moratoire?id=10573887
[7]https://www.repubblica.it/economia/2020/06/28/news/coronavirus_blocco_degli_sfratti_fino_al_31_dicembre_2020-260455048/
[8] La Rapporteuse spéciale de l’ONU sur le logement convenable a demandé aux gouvernements des quatre coins du monde de suspendre les expulsions jusqu’à la fin de la pandémie du COVID-19 : https://www.ohchr.org/en/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=26170&LangID=E