Coronavirus : « Rester chez soi » n’est pas une option pour les sans-abri   


 

Les personnes sans domicile représentent un groupe particulièrement vulnérable dans le cadre de la pandémie du Coronavirus. Le fait de dormir dans la rue, dans des hébergements temporaires ou dans des hébergements d’urgence (centres d’hébergement, refuges, etc.) les place dans une situation de risque de contamination et menace dès lors leur accès aux services d’hygiène et aux lieux d’isolement. Les sans-abri sont une population à haut risque sur le plan médical, et sont affectés de façon disproportionnée par les problèmes de santé et les handicaps. La prévalence des troubles respiratoires parmi les personnes sans domicile de nos communautés est très élevée. Si elles viennent à contracter le COVID-19, elles ont beaucoup plus de chances de tomber gravement malade et de mourir. En outre, les personnes sans domicile sont confrontées à des obstacles multiples en matière d’accès aux soins de santé et aux informations de santé publique. La contamination de cette population à haut risque est également très difficile à contenir, ce qui implique que la protection des personnes sans domicile est un élément très important de la gestion de cette crise de la santé publique. Nombre des mesures qui visent le grand public, à savoir l’isolement, les mesures accrues d’hygiène, l’imposition de rester à la maison et la distanciation sociale, ne sont pas réalistes pour les personnes sans abri. Si nous restons les bras croisés, ces membres vulnérables (et d’autres) de notre société seront exclus des réponses politiques publiques à la pandémie.  

Alors que la pandémie n’a de cesse de croître, les services d’aide aux sans-abri et les pouvoirs publics rencontrent d’importantes difficultés pour protéger la santé et le bien-être des personnes sans domicile. La crise s’aggrave de jour en jour et la situation sur le terrain change quotidiennement. Des mesures urgentes sont nécessaires pour protéger les sans-abri. La FEANTSA (la Fédération Européenne d’Associations Nationales Travaillant avec les Sans-Abri) suit la situation en Europe et sur le plan international. Plusieurs priorités importantes se dégagent pour les gouvernements, les organismes de santé publique et les prestataires de services, dont les suivantes :

Des services de sensibilisation ciblés et proactifs et des tests de dépistage

A l’heure actuelle, des mesures de sensibilisation ciblées et proactives pour les personnes sans domicile sont nécessaires de toute urgence et sont malheureusement sous-développées dans la plupart des pays. Au Royaume-Uni, Pathways, un organisme spécialisé dans les soins de santé pour les sans-abri, travaille sur un plan détaillé pour la ville de Londres. Celui-ci implique des tests de dépistage rapide au COVID-19 dans tous les services londoniens d’aide aux sans-abri, en vue de séparer les usagers positifs des autres qui ne sont pas contaminés, et la création de nouveaux centres d’urgence afin de prendre en charge séparément chaque groupe. Les sans-abri devraient être un groupe prioritaire de dépistage dans tous les pays, mais cela nécessite un travail de proximité ciblé[1]. Ce type de programme est essentiel pour les personnes qui dorment dans la rue et est une priorité de santé publique particulièrement urgente pour les camps, qui sont de plus en plus prévalents dans le contexte de la crise du logement qui frappe de nombreuses villes en Europe et ailleurs. Étant donné l’accès très limité aux tests de dépistage dans de nombreux pays actuellement, ces programmes sont inexistants et des actions sont nécessaires de toute urgence.   

Garantir l’accès à l’hygiène et à la nourriture

Les sans-abri ont souvent un accès limité aux services d’hygiène. L’accès réduit aux centres d’accueil, la fermeture des toilettes publiques et d’autres mesures ne font qu’aggraver ce problème. Les personnes sans domicile risquent d’être confrontées à la faim et à l’insécurité alimentaire. Nombre des services qui fournissent de la nourriture aux sans-abri sont impactés par la crise du Coronavirus. De nombreux services préfèrent maintenant recourir aux colis de nourriture plutôt que de proposer des repas sur place. Dans certains pays, la fermeture des restaurants et des services de restauration a exclu les services qui fournissent de la nourriture aux sans-abri et à d’autres personnes vulnérables, comme en Italie. Les achats de panique ont engendré des pénuries de denrées dans les banques alimentaires de certains pays. Les services de proximité qui fournissent des kits d’hygiène, de la nourriture et des boissons aux sans-abri sont actuellement développés dans certains pays. Ces actions doivent être financées et coordonnées de façon adéquate. En Espagne, l’armée a été mobilisée à cette fin.   

Promouvoir l’accès à des hébergements sûrs 

Des mesures sont prises par les prestataires de services et les pouvoirs publics en vue de maintenir l’accès à l’hébergement durant la pandémie. La France, la Belgique, le Luxembourg et d’autres pays ont ainsi étendu leurs « plans hivernaux » afin d’éviter la fermeture des centres d’hébergement et le renvoi des personnes dans la rue durant la pandémie. Les services sociaux essentiels sont maintenus malgré les mesures de confinement dans de nombreux pays, à l’instar de l’Italie. Les conditions de vie dans les centres d’hébergement, qui englobent des pièces communes et des dormoirs, font en sorte qu’il y est impossible de contrôler de façon efficace la transmission d’une maladie très infectieuse. Un service qui héberge des personnes sans domicile souffrant de problèmes de santé à Paris a enregistré 13 cas de Coronavirus. En vue de rester le plus en sécurité possible, les centres d’hébergement pour sans-abri ont pris les mesures suivantes :  

  • Le renforcement des mesures d’hygiène
  • Des mesures pour réduire le risque de transmission, comme le roulement des réservations pour réduire la rotation quotidienne des usagers, la réduction des visites, les mesures pour le personnel, etc.
  • La réservation de places d’hébergement pour les personnes isolées (voir plus bas)
  • La fourniture de nouvelles places d’hébergement pour diminuer le surpeuplement. La France a ainsi annoncé des plans pour des centres régionaux de desserrement.
  • L’introduction de séjours en « pension complète » dans les centres d’hébergement pour les usagers les plus vulnérables
  • Des informations et des conseils pour les usagers
  • Des protocoles d’hospitalisation
  • Des plans de contingence, surtout pour le personnel
  • L’ouverture des centres d’hébergement 7 jours sur 7, 24h/24 
  • L’engagement de professionnels de la santé dans les services d’aide aux sans-abri

Certaines autorités publiques ont fourni des directives spécifiques aux services d’aide aux sans-abri. Pour être pertinentes, ces directives doivent se fonder sur la réalité du terrain et être élaborées en étroite collaboration avec le secteur. Certains conseils sont totalement irréalistes, comme le simple le fait de conseiller aux personnes malades de « rester dans leur chambre » sans tenir compte de la prévalence des chambres communes, et de l’accès aux toilettes, à la nourriture et à la cuisine.  

Certains centres d’hébergement devront peut-être fermer leurs portes à cause des risques d’infection et/ou de l’absence de nombreux travailleurs et bénévoles. La combinaison de l’absence de nombreux travailleurs et de la demande élevée sera très difficile à gérer. De nombreux services développent des plans de contingence en raison de la capacité réduite des centres. Ces pans sont une priorité urgente, et les pouvoirs publics doivent s’assurer que les personnes sans domicile disposent d’autres alternatives.

Une des principales priorités pour les pouvoirs publics et les services d’aide aux sans-abri devrait être de fournir des logements d’urgence en lieu et place des hébergements communs et de permettre l’isolement des personnes sans domicile. Bruxelles a ouvert un nouveau centre spécialisé où 15 personnes sans domicile pourraient s’isoler à tout moment. Au Danemark, une discussion est en cours concernant la mobilisation de chambres d’hôtel inoccupées. Davantage d’initiatives de ce type, comme la fourniture de davantage de places d’hébergement sûres et adéquates, sont nécessaires de toute urgence. Le plan de Pathways pour Londres inclut le développement de ce type de mesures. Du courage et de la créativité sont nécessaires pour fournir davantage d’hébergements d’urgence, comme l’utilisation d’hôtels qui ont fermé leurs portes, de logements Airbnb inoccupés, de bâtiments publics et d’autres logements à cette fin.

Maintenir le logement des personnes vulnérables

Endiguer le flux de sans-abrisme permettra de protéger les personnes vulnérables contre le Coronavirus, surtout en raison de l’impact économique de la crise. Des suspensions temporaires des crédits hypothécaires ont été annoncées dans plusieurs pays (Italie, Espagne, Royaume-Uni). Des mesures similaires pour les locataires, qui sont souvent plus vulnérables à court terme, devraient également être développées. Des mesures spécifiques ciblant les personnes en logement précaire sont également nécessaires. En France par exemple, le moratoire hivernal sur les expulsions a été étendu pour éviter que les publics vulnérables perdent leurs logements pendant cette pandémie. En Espagne, la suspension des décisions judiciaires non-essentielles englobe les expulsions. Des mesures plus larges pour protéger les personnes vulnérables contre l’impact économique de la crise seront indispensables pour aller de l’avant.  

Éviter la stigmatisation et promouvoir la solidarité

Les personnes sans domicile représentent un groupe très stigmatisé de nos sociétés. Les mesures de santé publique et les communications doivent être bienveillantes et se concentrer sur la vulnérabilité et le droit à la santé, et ne surtout pas blâmer ou victimiser les personnes concernées.

Fournir un accès aux conseils et aux aides

Les personnes sans abri sont très vulnérables à l’isolement et à l’exclusion sociale. Cette vulnérabilité sera renforcée par la réduction du personnel et des bénévoles dans les services d’aide aux sans-abri, ainsi que par la nécessité de limiter les contacts sociaux avec les autres. La fermeture des centres d’accueil, des restaurants sociaux et d’autres services ne fait qu’aggraver le problème et devrait être compensée par le travail de proximité (voir point 1). Les mesures visant à maintenir l’accès aux conseils et aux aides incluent des lignes d’appel spécialisées ainsi que des alternatives téléphoniques ou en ligne au travail social direct. D’autres mesures sont actuellement en cours de développement dans certains pays.   

Protéger les travailleurs du secteur de l’aide aux sans-abri  

Toutes les mesures précitées dépendent également de la prise de mesures adéquates pour protéger le personnel et les bénévoles qui travaillent avec les personnes sans abri et qui risquent ainsi de contracter le COVID19. Le secteur développe des mesures de gestion des risques (comme la réduction du personnel, le télétravail pour certaines fonctions, la mise en œuvre de plans pour réduire les services, le renforcement des mesures d’hygiène, l’accès au matériel, la réorganisation du travail, la centralisation des listes de personnel, etc.) mais nécessitera le soutien des pouvoirs publics pour aller de l’avant.  

Protéger les personnes sans abri contre les mesures punitives

L’application des mesures de confinement par la police doit tenir compte de la vulnérabilité particulière des personnes sans domicile et de l’absence d’alternatives sûres à l’espace public. Une coopération interagences et des mesures non-coercitives ciblées doivent être développées pour s’assurer que l’application des mesures permette aux personnes sans domicile d’accéder aux aides nécessaires et ne rende pas ces personnes encore plus vulnérables.  

 


La FEANTSA invite les pouvoirs publics aux niveaux local, régional, national et européen à travailler avec les services d’aide aux sans-abri pour s’assurer que les ressources et les mesures répondent aux besoins spécifiques des personnes sans domicile dans le cadre de la pandémie du Coronavirus. Nous concédons que nous n’avons malheureusement pas le luxe de prévoir les choses à long terme, et que les gouvernements, les ressources et les services sont mis à rude épreuve. Toutefois, alors que de nouvelles mesures sont prises chaque jour pour lutter contre cette pandémie, nous devons nous assurer tous ensemble de n’oublier personne, et surtout pas les plus vulnérables.  


 

Pour toute question relative à cette déclaration, veuillez contacter laura.rahman@feantsa.org